L’année 2024 n’aura pas été favorable à tous les salariés européens et l’impôt tend à s’en mêler. Si la majorité des pays membres de l’Union européenne affichent une progression du revenu réel après impôt, sept d’entre eux se distinguent à contre-courant. Selon le rapport Les impôts sur les salaires 2025 de l’OCDE, la France, l’Italie, l’Estonie, la République tchèque, la Grèce, la Belgique et l’Espagne ont vu le revenu net des travailleurs moyens baisser une fois l’inflation et la fiscalité prises en compte.
Des salaires en hausse, mais des poches qui se vident
Ce paradoxe s’explique par une dynamique perverse : bien que les salaires nominaux aient augmenté, la fiscalité sur les revenus a progressé plus rapidement. En Italie, par exemple, le salaire moyen a connu une hausse de 3,9 % en 2024, pour une inflation limitée à 1,2 %. Une hausse modérée, qui aurait dû se traduire par un gain de pouvoir d’achat. Pourtant, le taux moyen d’imposition sur le revenu – incluant l’impôt sur le revenu et les cotisations sociales – a bondi de 7,5 %. Résultat : une grande partie des gains salariaux a été absorbée par le fisc.
La situation est similaire en République tchèque et en Estonie, où les augmentations d’impôt ont dépassé 4,5 %. En Estonie, cette hausse s’explique notamment par la suppression d’abattements fiscaux, tandis qu’en République tchèque, elle résulte principalement de l’alourdissement des charges sociales, tant du côté des employeurs que des salariés.
En France, un léger mieux qui ne suffit pas… l’impôt s’en mêle
Du côté français, le tableau n’est guère plus réjouissant. En 2024, les salaires réels ont progressé de 0,7 %, mais les prélèvements ont crû de 1,7 %. Le revenu réel disponible des travailleurs a donc fléchi, réduisant leur capacité à consommer ou à épargner. Pour un salarié moyen, ce glissement entre salaires et fiscalité se traduit concrètement par une perte de pouvoir d’achat.
Cette situation est aggravée par un phénomène bien connu des économistes : le « glissement de tranche ». Lorsque les salaires augmentent, les contribuables peuvent se retrouver dans des tranches d’imposition supérieures sans pour autant avoir gagné significativement plus. L’effet est d’autant plus marqué en période d’inflation, lorsque les seuils fiscaux ne sont pas ajustés. Selon Cristina Enache, économiste à la Tax Foundation, seule une indexation des barèmes sur l’inflation permettrait d’enrayer ce mécanisme.
Des contrastes marqués à l’échelle européenne
À l’inverse, d’autres pays ont su mieux protéger, voire améliorer, le revenu réel de leurs citoyens. Le Portugal, le Royaume-Uni et la Turquie affichent les meilleures performances en la matière. Au Portugal, la baisse de 8 % du taux moyen d’imposition, combinée à une hausse des salaires réels de 4,7 %, a considérablement dopé le revenu net disponible. Le gouvernement portugais a allégé l’imposition des six premières tranches de revenu, allégeant significativement le poids de la fiscalité sur les classes moyennes.
Le Royaume-Uni a suivi une stratégie similaire, avec une réduction de 8,7 % du taux d’imposition moyen, bien que la hausse des salaires y soit restée modérée (+1,6 %). En Turquie, enfin, malgré une augmentation du taux d’imposition moyen (+3,9 %), la forte croissance des salaires réels (+15,5 %) a permis une nette progression du revenu disponible. Toutefois, la crédibilité de ces chiffres est contestée, certains économistes soupçonnant une sous-estimation de l’inflation par les autorités turques.
L’impôt tend à freiner les revenus réels
Ces disparités reflètent les choix politiques et fiscaux propres à chaque pays. Dans certains cas, les États ont relevé la fiscalité pour financer leurs politiques sociales ou combler leur déficit. Mais ce faisant, ils ont fragilisé le pouvoir d’achat des classes moyennes et populaires, notamment dans un contexte de tension sur les prix.
Le débat sur l’indexation des tranches fiscales, mis en avant par Cristina Enache, pourrait prendre de l’ampleur dans les mois à venir. Pour éviter que les hausses de salaire ne soient artificiellement annulées par l’impôt, plusieurs experts plaident pour une réforme en profondeur des systèmes fiscaux, avec des barèmes ajustés à l’inflation et une meilleure articulation entre impôt sur le revenu et cotisations sociales.
Au final, le rapport de l’OCDE met en lumière un enjeu central pour les politiques économiques : assurer que les hausses salariales se traduisent réellement par une amélioration du niveau de vie. Un défi majeur, dans une Europe toujours plus soumise aux pressions sociales et aux exigences budgétaires.