Le site web et l’application de la société française Doctolib permettent aux utilisateurs de prendre des rendez-vous médicaux via un portail en ligne. Leur popularité a explosé pendant la pandémie de Covid-19 – permettant à de nombreuses personnes d’accéder à la fois aux vaccinations et aux consultations avec une relative facilité – et la société prévoit maintenant de s’étendre à l’Italie et à l’Allemagne. Mais l’émergence d’une entreprise privée pour combler une lacune dans le secteur de la santé publique en France souligne également l’échec du pays à moderniser l’industrie des services médicaux.
Les dernières annonces du gouvernement français concernant le programme Covid-19 sont toujours suivies d’une ruée sur le site web et l’application Doctolib, les gens remplissant rapidement tous les créneaux horaires disponibles. Lorsqu’il a été annoncé pour la première fois en juillet qu’un laissez-passer sanitaire serait nécessaire pour accéder aux restaurants et aux lieux publics, quelque 1,35 million de personnes se sont empressées de prendre un rendez-vous pour se faire vacciner, faisant ainsi exploser le site de Doctolib.
Dans les 24 heures qui ont suivi l’annonce par le ministre de la Santé Olivier Véran de la nécessité d’un troisième vaccin pour que le carnet de santé reste valable à partir du 15 janvier, plus de 1,2 million de personnes se sont précipitées sur Doctolib pour prendre rendez-vous pour un rappel.
Avec 60 millions d’utilisateurs et un chiffre d’affaires estimé entre 150 et 200 millions d’euros en 2020, Doctolib s’est imposé comme une success story de la French tech.
Cette « licorne » française – qui désigne une start-up dont la valorisation a dépassé le milliard de dollars sans entrer en bourse – a vu sa masse salariale tripler depuis sa création en 2013. Avec plus de 1 700 employés, l’entreprise ne cesse de se développer : Elle a actuellement plus de 250 offres d’emploi publiées sur son site Web pour des sites en France, en Allemagne et en Italie. En octobre, elle a racheté une société italienne assurant le même service, Dottori.it.
Des données stockées par Amazon
Doctolib est devenu un acteur clé de la vaccination en France depuis l’apparition du Covid-19, offrant un accès à près de 90 % des centres de vaccination Covid français, selon Le Monde.
Des concurrents sont apparus – notamment Maija, Allodocteur et Vitodoc – mais le développement rapide de Doctolib et son maintien en position de quasi-monopole dans le domaine des rendez-vous médicaux en ligne soulèvent des questions difficiles.
« La santé est un domaine sensible de l’économie en raison des données personnelles enregistrées ; et le stockage de ces données en toute sécurité est un service public essentiel », a déclaré Frédéric Bizard, économiste spécialisé dans la santé publique, à FRANCE 24.
En mars, des associations de médecins et de patients ont soulevé certaines des questions relatives au Doctolib devant le Conseil d’État, la plus haute juridiction de droit administratif française. Ils ont fait valoir que parce que Doctolib stockait les données des patients sur Amazon Web Services – la branche informatique en nuage du géant américain – Amazon, en tant qu’entreprise américaine, serait tenue de se conformer à toute demande d’information émanant des agences de renseignement américaines.
Le tribunal a donné raison à Doctolib en déclarant que des « garanties » étaient déjà en place au cas où les autorités américaines demanderaient à Amazon des données de patients français. Doctolib a également fait remarquer qu’elle crypte ses données.
Mais une enquête menée par la radio France Inter en mars a révélé que les données de Doctolib n’étaient pas cryptées une fois arrivées dans le nuage Amazon Web Services. En outre, la branche allemande de Doctolib s’est retrouvée mêlée à une controverse sur l’utilisation des données en juin, lorsque des médias l’ont accusée d’envoyer des informations sur les utilisateurs locaux à Facebook et à la société de marketing Internet Outbrain. Les informations sur les recherches effectuées par les internautes sur le site de Doctolib avaient été vendues aux deux sociétés avec leurs adresses IP.