Automobile européenne : les grands patrons tirent la sonnette d’alarme

0

Face à une réglementation européenne jugée trop complexe et déconnectée du marché, les dirigeants de Stellantis et Renault alertent sur un effondrement possible du secteur automobile sur le continent. Ils appellent à une mobilisation politique urgente pour préserver une production compétitive en Europe.

L’avenir de l’industrie automobile européenne est en suspens. C’est le cri d’alarme lancé ce lundi par John Elkann, président de Stellantis, et Luca de Meo, directeur général de Renault, dans un entretien accordé au Figaro. Selon eux, les politiques actuelles de l’Union européenne mettent en péril l’équilibre d’un secteur déjà fragilisé, risquant d’entraîner une division par deux du marché d’ici à 2035 si aucune mesure corrective n’est prise rapidement.

Un marché en décroissance et des normes inadaptées

Depuis cinq ans, les ventes de voitures en Europe ne cessent de baisser. Une tendance que John Elkann juge alarmante : « Le marché pourrait être plus que divisé par deux à l’horizon 2035 si nous poursuivons sur cette trajectoire », déclare-t-il. À ses yeux, les réglementations environnementales, aussi ambitieuses soient-elles, ne tiennent pas compte de la réalité économique du marché ni des capacités d’adaptation des constructeurs et des consommateurs.

Luca de Meo partage ce constat et souligne une forme d’inadéquation entre l’offre imposée et la demande réelle : « Les Européens n’achètent pas les véhicules que les institutions veulent leur faire adopter. » Il pointe notamment la complexité de basculer l’ensemble du parc vers l’électrique dans un laps de temps aussi restreint, en l’absence de conditions économiques et industrielles favorables.

L’alerte d’une désindustrialisation progressive

Pour Stellantis comme pour Renault, si rien ne change, les conséquences à court et moyen termes pourraient être dramatiques. « D’ici trois ans, nous serons contraints de prendre des décisions douloureuses sur nos sites de production », prévient Elkann. Derrière cette mise en garde se dessine la crainte d’une délocalisation accrue vers des zones plus compétitives, ou d’un abandon progressif de la fabrication de voitures accessibles en Europe de l’Ouest.

Et pourtant, une alternative existe selon les deux dirigeants : une relance industrielle concertée et différenciée. « Si nous créons un marché cohérent et des volumes suffisants, nous pourrons continuer à produire ici », affirme Elkann. Mais cela suppose, à leurs yeux, une volonté politique forte et un changement de cap réglementaire.

L’Europe, seul acteur à ne pas protéger son marché ?

L’un des points les plus marquants de l’entretien est l’accusation portée par les deux patrons contre l’Union européenne, qu’ils accusent d’un certain désengagement stratégique. « Tous les grands pays protègent leur industrie automobile, sauf l’Europe », déplore Luca de Meo. Ce déséquilibre est d’autant plus criant dans le contexte d’une compétition mondiale exacerbée, notamment face aux puissances américaine et chinoise, où des mesures de soutien massif à l’industrie automobile sont en vigueur.

De Meo distingue également deux visions opposées au sein même du secteur européen : d’un côté, les constructeurs généralistes comme Renault et Stellantis, qui misent sur des véhicules abordables pour les marchés de proximité ; de l’autre, les marques premium, davantage tournées vers l’export et les marges élevées. Ce sont ces dernières, dit-il, qui influencent depuis vingt ans les standards européens, au détriment des véhicules plus légers, plus simples et moins chers.

Un appel à une réglementation plus pragmatique

Face à ce constat, Elkann et de Meo appellent à une coalition entre la France, l’Italie et l’Espagne. Ces trois pays, qui représentent à la fois de gros producteurs et consommateurs de petites voitures, pourraient contrebalancer l’influence dominante de l’Allemagne dans les négociations européennes.

Pour Luca de Meo, une refonte de la réglementation est indispensable. Il propose trois axes concrets : « Premièrement, ne plus imposer les nouvelles règles aux anciens modèles. Deuxièmement, regrouper les textes réglementaires par lots cohérents, plutôt qu’enchaîner les annonces. Enfin, créer un guichet unique au sein de la Commission européenne pour centraliser les décisions. » Car selon lui, Bruxelles souffre d’une fragmentation des décisions, avec des directions qui poursuivent des objectifs contradictoires. Il cite notamment le cas des PFAS, des substances chimiques utilisées dans les batteries, que certains services souhaitent interdire alors que d’autres exigent l’accélération de l’électrification.

Un moment décisif pour l’industrie européenne

« Le sort de l’automobile européenne se joue cette année », martèle John Elkann. Ce message, qui sonne comme une dernière alerte, s’adresse directement aux décideurs politiques. Pour les dirigeants de Stellantis et Renault, il est encore temps d’agir. Mais sans un sursaut rapide, l’Europe pourrait perdre sa capacité à produire ses propres voitures pour ses propres citoyens. Et laisser le champ libre à des industriels étrangers bien plus agiles et mieux soutenus.

Partager.

Répondre

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Planete Business