Airbnb, startup devenue trop gourmande ?

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Airbnb ne connait pas la crise. Entre juillet 2016 et Janvier 2015, le nombre total d’hébergements proposés par Airbnb a encore augmenté de 16% en France, première destination du site. Or, une étude gouvernementale révèle que plus de 30% des offres émanent de multipropriétaires – c’est-à-dire des utilisateurs qui mettent au minimum deux biens en ligne. Ces chiffres font apparaitre une réalité bien éloignée des valeurs de partage du site, où un petit groupe d’individus couvert par la plateforme s’enrichit copieusement en toute illégalité.

Il existe deux profils à distinguer dans l’économie collaborative. Dans le cas d’Airbnb on a affaire à un loueur proposant un bien et générant un revenu grâce à son patrimoine qu’il fait fructifier. Il y a aussi l’exemple des travailleurs indépendants qui proposent des services – à l’image d’Uber, qui permet à des chauffeurs de mettre à disposition leur force de travail. Bien souvent, les utilisateurs de ces plateformes sont présentés comme des citoyens souhaitant faire face à une insuffisance de revenus et arrondir leurs fins de mois. Mais le premier profil ouvre également la porte à des gros propriétaires désireux de valoriser leur patrimoine. A ce propos, un article du Think Tank Oui Share souligne, à la lumière des travaux de Thomas Piketty, que « les revenus qu’on peut désormais tirer [de l’économie collaborative]ressemblent à s’y méprendre à un revenu du capital dans la mesure où ils découlent de la possession préalable d’un bien. » Dans ce cas, l’économie du partage sert en réalité de levier pour augmenter les inégalités, car ceux qui possèdent un patrimoine ont de nouvelles manières de le faire fructifier. C’est le cas d’une minorité de multipropriétaires noyautant Airbnb, et générant d’importants revenus. Aussi, lorsqu’on parle d’économie collaborative est-il crucial d’établir la distinction entre le « vrai particulier » et le « faux particulier. »

La location de plusieurs logements sous couvert de mettre à disposition sa demeure principale est en effet en nette progression sur le site. Il s’agit pourtant d’une pratique totalement illégale. La loi Alur, qui encadre la location de biens immobiliers pose plusieurs conditions : il est autorisé de louer sa résidence principale pour une courte durée (quatre mois par an à Paris). Pour louer une résidence secondaire, il est nécessaire d’obtenir une autorisation d’usage des lieux et de verser une compensation à la municipalité. Ces préalables rendent cette forme de location plus contraignante. Or, Airbnb offre le moyen de contourner cette garantie légale en toute discrétion. Le Groupement national des indépendants Hôtellerie et Restauration (GNI) révélait ainsi que 80% des propriétaires ne déclarent rien aux impôts. L’Union des métiers de l’industrie de l’hôtellerie quant à elle, a mené une étude qui nous apprenait que 35% des offres dépassent 120 jours par an, et génèrent 74% de l’activité de la plateforme. Si Airbnb défend mordicus son image de site collaboratif « sympa », de dépanne, où on vient arrondir ses fins de mois, et qui permet de se loger à l’étranger pour pas grand-chose, la réalité est souvent bien différente. Aujourd’hui, les offres qui se développent le plus concernent des locations à plusieurs milliers d’euros la nuit dans un cadre de grand luxe. Le groupe évite bien sûr soigneusement d’en parler.

Si ces études sont commanditées par l’hôtellerie c’est qu’elle est la première à souffrir de ces agissements. En effet, la location de masse de biens privés en dehors de tout cadre légal constitue un cas avéré de concurrence déloyale où des pseudos particuliers proposent de véritables parcs immobiliers aux voyageurs. Cette pratique est dénoncée a plein poumon par une industrie hôtelière et par les municipalités qui voient des quartiers entiers se transformer en dortoirs pour touristes, accentuant considérablement la pression immobilière. Ainsi, les principaux propriétaires à Paris gèrent plusieurs dizaines, parfois plusieurs centaines de logements – le plus gros (probablement une agence) est responsable de pas moins de 1412 offres de logement, un véritable empire immobilier monétisé clandestinement. A Marseille, un individu centralise à lui seul 34 offres ; à Lyon une femme possède une vingtaine de logements mis en ligne simultanément sur la plateforme… Et les agences s’y mettent : dans la capitale, l’agence Paris Autrement propose 132 adresse en anglais, espagnol, néerlandais, danois, portugais, norvégien…

Cette année, la Mairie de Paris a décidé de la mise en place d’une taxe de 0,83 centimes par nuitée qui a permis de lever la coquette somme de 1,445 millions en un trimestre d’application. Mais un travail de transparence reste à faire. Tout suivi sérieux des locations permettant d’identifier plus facilement les fraudeurs est actuellement quasi impossible. Les contrôles de terrain augmentent néanmoins, les condamnations aussi (20 multipropriétaires ont ainsi été débusqués pour des amandes cumulées s’élevant à 149 000 euros en 2015). Mais il s’agit uniquement de la face visible de l’iceberg. Et la plateforme se garde bien de dénoncer les abus, elle aurait au contraire plutôt tendance à les masquer. Airbnb vient ainsi d’admettre qu’elle avait supprimé 1500 offres illégales sur son site à New York, avant de communiquer aux autorités américaines qui le lui demandaient, des précisions sur ses locations soupçonnées de ne pas être en règle. Peu avant, le groupe avait publié une étude dans laquelle il affirmait qu’à New York, 95% de ses hôtes ne proposaient à la location qu’un seul appartement, et que 4% en proposaient deux – une grande mascarade.

Selon Bloomberg, les offres illégales ainsi écartées seraient déjà majoritairement retournées sur le site. En avril 2014 déjà, Airbnb déclarait avoir supprimé pas moins de 2000 annonces new-yorkaises de sa plateforme – officiellement, pour respecter l’esprit du site. Ces révélations forcées tombent à mesure que les contrôles s’accentuent dans la Grosse pomme, et que la municipalité exige plus de transparence au site. Pour l’heure, ce sont donc les mairies qui assurent la persistance des valeurs de l’économie collaborative. Dans son rapport sur les économies collaboratives remis au gouvernement, le député PS Pascal Terrasse expliquait qu’il ne fallait pas détruire ces sites, mais les « pérenniser en fixant des règles équitables pour tous. » Contrôler mais pas interdire, donc. Encore faut-il pour ça que les sites acceptent de jouer la transparence, ce que Airbnb ne semble pas encore disposé à faire.

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