La transformation numérique et robotique au cœur du nucléaire français

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Enjeu majeur de développement et de croissance pour l’industrie nucléaire, la révolution numérique, digitale et robotique offre de nouvelles perspectives aux acteurs de la filière et met à leur disposition de nouveaux dispositifs efficients de traçabilité des matériaux, de gestion des données et de modélisation virtuelle. Ces nouveaux outils, en cours d’expérimentation pour la plupart, promettent dans un avenir proche une gestion des installations à la fois plus sûre et plus compétitive.

La digitalisation au service du développement industriel

Développées depuis plusieurs années déjà dans des secteurs industriels très concurrentiels comme l’aéronautique, le transport ou la défense, la numérisation et la digitalisation opérationnelles ne se sont pas fait attendre pour faire valoir leur intérêt économique en termes de performance et de compétitivité. Les nouvelles technologies numériques offrent en effet de nombreux atouts pour la sécurisation des grands programmes industriels, la simplification des opérations, l’amélioration de la performance au quotidien et l’intégration accrue de la chaîne logistique, des fournisseurs et des sous-traitants.

L’industrie nucléaire française, troisième filière industrielle nationale avec 2.500 entreprises et 220.000 salariés, se devait elle aussi dans un tel contexte, d’entamer sa mue technologique pour profiter à son tour des bénéfices de ces nouveaux procédés. Pour Xavier Ursat, directeur exécutif du groupe EDF, invité à s’exprimer sur le sujet dans le cadre d’une journée d’études proposée par la Société française d’énergie nucléaire (Sfen) jeudi 30 mars 2017, « nous avons sans doute pris un petit peu de retard (…) Il convient d’aller vite ». Selon lui « la transformation numérique est un des leviers fondamentaux » dans l’industrie nucléaire. Elle doit se réinventer et transformer ces outils numériques en avantages comparatifs si elle veut faire face à la concurrence accrue des énergies fossiles et renouvelables sur un marché du nucléaire fragilisé depuis 2011 et l’incident de Fukushima au Japon.

Un enjeu de compétitivité et de sûreté pour l’industrie nucléaire

Les logiciels de simulation et de maquettage dédiés à la formation, les outils de gestion et de couplage des données et de l’information sur l’intégralité de la chaîne de production, offrent pour cela de fortes perspectives de réduction des coûts et permettent de répondre de manière optimisée aux enjeux de compétitivité de la filière. A terme, ces technologies permettront par exemple d’être beaucoup plus précis en matière de maintenance prédictive, de diminuer le nombre d’arrêts non planifiés, et donc d’augmenter la disponibilité des réacteurs et leur productivité. « Le grand enjeu, c’est de se servir des dernières technologies disponibles en matière de numérique pour faciliter la maintenance du parc et notamment la réalisation (du programme de rénovation) du Grand carénage« , explique Pierre Béroux, directeur de la « transition numérique industrielle » de la production et de l’ingénierie du groupe EDF.

Mais l’adaptation du parc de production aux progrès de l’informatique et du numérique ne relève pas exclusivement de ce souci de productivité. Il répond également et surtout à une préoccupation de sécurisation croissante des installations et d’optimisation des procédures d’urgence. « Le numérique est un des leviers pour obtenir, à la fois pour le nouveau nucléaire et pour le nucléaire existant, des augmentations de qualité qui contribuent à la sûreté en améliorant la traçabilité« , précise de son côté Philippe Knoche, dirigeant du nouvel Areva recentré sur le cycle du combustible. Le digital permet ainsi de garder une trace des différentes étapes d’un projet (tout en s’assurant du respect des exigences d’origine), et est devenu au fil des ans un outil indispensable dans le cadre de la recherche nucléaire. Il permet par exemple au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) d’explorer des situations difficilement accessibles (notamment le comportement des installations en situation accidentelle), de confronter les modèles théoriques à de multiples scénarios, et d’optimiser les durées de conception. Ces simulations numériques sont obtenues par la modélisation des observations issues des expériences réalisées par les chercheurs et leur conversion en codes informatiques. Agrégés et homogénéisés par des spécialistes du traitement informatique, ces codes ont donné lieu à quatre plateformes correspondant aux quatre grandes disciplines de recherche du CEA : neutronique, thermo-hydraulique, comportement des matériaux sous irradiation et mécanique de structures. Des outils de couplage permettent par la suite de combiner ces plateformes pour simuler des applications spécifiques (combustible, stockage des déchets, réacteurs de deuxième ou de troisième génération, etc) et améliorer ainsi leur traitement.

Quant aux risques de piratages ou de cyber attaques, souvent mis en avant pour contester le processus de numérisation progressif de nos installations, il ne serait pas plus élevé aujourd’hui puisqu’aucune passerelle n’est organisée entre le pilotage du réacteur et tout ce qui relève de l’informatique de gestion. « Il y a une règle d’étanchéité absolue qui rend en pratique totalement impossible un risque de cyber attaque touchant le contrôle-commande des réacteurs« , souligne Pierre Béroux.

Simulation et robotique, quelques exemples d’innovations numériques

Sur le terrain, la digitalisation croissante du parc nucléaire français, prévue dans le cadre du Grand carénage, prend déjà plusieurs formes et peut être utilisée aussi bien pour la formation que la construction, l’exploitation ou le démantèlement d’une centrale. Un tout nouveau simulateur de conduite numérique, unique au monde et reproduisant à pleine échelle une salle de commande de réacteur avec 220 écrans tactiles, a par exemple été installé au sein du Campus Formation du site EDF de Paluel. « Afin de préparer au mieux les opérateurs nucléaires au pilotage de la centrale, aux opérations de maintenance, à la prévention des risques, il faut les placer dans les conditions les plus proches de la réalité, en prenant en compte certains paramètres: accessibilité, luminosité, exiguïté… La digitalisation ouvre des possibilités quasi infinies de mises en situation et de scénarios, limite les besoins matériels et ne met pas en danger le personnel », précise Lélia Belazi qui pilote la stratégie de digitalisation pour la formation chez EDF. Un autre aspect développé par EDF (et sans doute le plus innovant) tient dans la réalisation de « jumeaux numériques » pour les installations déjà âgées de 20 ou 30 ans offrant la possibilité de simuler en temps réel l’état des centrales existantes et de partager les informations recueillies avec les fournisseurs et les différentes directions du groupe. Le groupe entend ici réaliser des clones virtuels grâce à des scanners lasers ou des photographies 3D, et ainsi mieux prévoir les arrêts de tranche, réduire les délais de traitement et anticiper les pannes éventuelles.

La robotique enfin, développée depuis de nombreuses années en France comme à l’étranger, est surtout utilisée pour moderniser les matériels d’intervention et réduire les risques d’exposition. C’est notamment le cas du bras manipulateur Maestro et de son logiciel de supervision en temps réel issus d’un programme de R&D entre le CEA, Cybernetix et l’IFREMER. Maestro est capable d’emporter dans des zones très radioactives les scies, perceuses, meuleuses ou cisailles nécessaires pour découper in situ des appareils irradiés. On peut également citer ici le robot aquatique Stinger du groupe japonais Hitachi, qui permet, quant à lui, de simplifier l’opération de maintenance par le remplacement de toute l’équipe. Ce dernier est notamment capable de nager pour assurer ses déplacements dans l’eau (évitant l’installation de rails), et de filmer grâce à une technologie de positionnement à distance.

Par Melissa Petrucci

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