Bientôt une taxe Nutri-score ?

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Alors que les polémiques entourant le système d’étiquetage alimentaire n’en finissent pas de gronder en Europe, une étude menée aux Pays-Bas suggère de taxer les produits mal notés par le Nutri-score. Une fausse bonne idée aux effets potentiellement contradictoires avec les effets recherchés.

La polémique autour du Nutri-score ne désenfle pas. En vigueur dans l’Hexagone depuis cinq ans, le système d’étiquetage alimentaire est plébiscité par une partie des consommateurs, mais vivement critiqué par tout ce que la France compte de producteurs de fromages, charcuteries et autres spécialités régionales riches en graisses ou en sucres. Pour ceux qui vivent de la vente de ces produits du terroir, emblématiques de la gastronomie tricolore et aux recettes parfois inchangées depuis des siècles, l’algorithme du Nutri-score apparaît comme « tronqué » voire « stigmatisant ». In fine, le système d’étiquetage menacerait des filières entières et leurs emplois, sacrifiés sur l’autel d’un mieux manger fleurant bon la dictature hygiéniste.

Une dérive d’autant plus paradoxale qu’en parallèle des calamiteuses notes « D » ou « E » attribuées aux Roquefort et autres Maroilles, les produits des industriels de l’agroalimentaires s’en sortent, eux, avec les honneurs – et pour cause, les multinationales de la malbouffe n’étant, au contraire des producteurs de fromages traditionnels et appellations protégées, pas tenues de respecter une recette ou un drastique cahier des charges. « Des produits industriels ultra-transformés avec des conservateurs peuvent avoir A ou B alors que nos produits du terroir très naturels sont stigmatisés », résume Sébastien Vignette, secrétaire général de la confédération du Roquefort. Signe des temps – et d’une incontestable perversion du système –, même le géant américain de la junk food, McDonald’s, affiche désormais le Nutri-score sur ses hamburgers.

Last but not least, l’indicateur nutritionnel est aussi largement critiqué pour son manque de rigueur scientifique : les critères retenus sont effetivement très arbitraires et peuvent facilement être manipulés et retournés, en particulier par des produits encore plus transformés. Mais autre point noir : l’algorithme ne prend pas en compte la qualité des protéines, des lipides ou des glucides d’un produit, oubliant du même coup de considérer la densité de nutriments – minéraux et vitamines – présents. Enfin, le Nutri-score peine à prendre en compte les quantités ingérées en moyenne par les consommateurs. Autant d’imperfection qui le conduise à mieux noter un soda allégé qu’un fromage de tradition.

Dérive hygiéniste

En dépit de ses défauts, le Nutri-score poursuit son chemin vers une généralisation à l’échelle européenne, soulevant des polémiques aux quatre coins du continent : mouvement des producteurs d’huile d’olive en Espagne, opposition du ministère de l’agriculture en République tchèque – quand d’autres s’enfoncent, au contraire, dans une forme de fuite en avant punitive. Ainsi des Pays-Bas, où vient d’être menée une étude portant sur les avantages supposés d’une taxation des produits mal notés par le Nutri-score. Purement spéculative pour le moment, l’enquête a analysé les comportements d’achat de consommateurs danois confrontés à une fiscalisation supplémentaire des aliments jugés peu nutritifs. Le panier moyen des personnes sondées a été considéré comme plus sain et plus pauvre en calories à la suite de l’expérimentation.

De quoi apporter de l’eau au moulin des défenseurs du Nutri-score ? Comme souvent en matière de fiscalité, la réponse n’est pas aussi simple. En 2016 déjà, la Direction française du Trésor avait publié une note appelant à la création d’une taxe fiscalisant les produits en fonction de leur apport en calories. Si l’idée ne semblait pas absurde à première vue, sa mise en pratique se heurtait déjà à un certain nombre d’effets paradoxaux et contre-productifs, au premier rang desquels le report attendu des consommateurs vers des produits moins taxés mais pas meilleurs pour leur santé – voire vers des supermarchés situés de l’autre côté de la frontière, dans le cas de l’éphémère « fat tax » instaurée au Danemark avant d’être abandonnée face à l’exil des clients Danois vers les points de vente allemands.

« Taxer la nourriture pour des raisons de santé est au mieux mal avisé et au pire contre-productif », avait alors tranché le ministre danois des Finances. D’autant plus que toute nouvelle taxe sur les denrées alimentaires frapperait indistinctement les ménages les plus pauvres comme les plus aisés. Au détriment, évidemment, des premiers, qui consacreraient mécaniquement une part encore plus importante de leurs revenus à l’alimentation. Enfin, en ces temps où des milliers d’Européens descendent dans les rues pour protester contre les restrictions à leurs libertés imposées par la crise sanitaire, introduire une nouvelle taxe sur certains produits représenterait une nouvelle atteinte au libre arbitre individuel, au nom d’un paternalisme étatique que de plus en plus de citoyens rejettent. Comme souvent en matière de fiscalité, une idée louable accoucherait donc d’une nouvelle taxe aussi injuste qu’inefficace.

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